VALÈRE.— Monsieur, n'est-ce pas vous qui vous appelez Sganarelle ? SGANARELLE.— Eh quoi ? VALÈRE.— Je vous demande, si ce n'est pas vous, qui se nomme Sganarelle. SGANARELLE, se tournant vers Valère, puis vers Lucas.— Oui, et non, selon ce que vous lui voulez. VALÈRE.— Nous ne voulons que lui faire toutes les civilités que nous pourrons. SGANARELLE.— En ce cas, c'est moi, qui se nomme Sganarelle. VALÈRE.— Monsieur, nous sommes ravis de vous voir. On nous a adressés à vous, pour ce que nous cherchons; et nous venons implorer votre aide, dont nous avons besoin. SGANARELLE.— Si c'est quelque chose, Messieurs, qui dépende de mon petit négoce, je suis tout prêt à vous rendre service. VALÈRE.— Monsieur, c'est trop de grâce que vous nous faites: mais, Monsieur, couvrezvous, s'il vous plaît, le soleil pourrait vous incommoder. LUCAS.— Monsieu, boutez dessus. SGANARELLE, bas.— Voici des gens bien pleins de cérémonie. VALÈRE.— Monsieur, il ne faut pas trouver étrange que nous venions à vous: les habiles gens sont toujours recherchés, et nous sommes instruits de votre capacité. SGANARELLE.— Il est vrai, Messieurs, que je suis le premier homme du monde, pour faire des fagots. VALÈRE.- Ah! Monsieur... SGANARELLE.— Je n'y épargne aucune chose, et les fais d'une façon qu'il n'y a rien à dire. VALÈRE.- Monsieur, ce n'est pas cela, dont il est question. SGANARELLE.— Mais, aussi, je les vends cent dix sols, le cent. VALÈRE.- Ne parlons point de cela, s'il vous plaît. SGANARELLE.— Je vous promets, que je ne saurais les donner à moins. VALÈRE.- Monsieur, nous savons les choses. SGANARELLE.— Si vous savez les choses, vous savez que je les vends cela. VALÈRE.- Monsieur, c'est se moquer que… SGANARELLE.— Je ne me moque point, je n'en puis rien rabattre. VALÈRE.— Parlons d'autre façon, de grâce. SGANARELLE.— Vous en pourrez trouver autre part, à moins: il y a fagots, et fagots. Mais pour ceux que je fais... VALÈRE.— Eh! Monsieur, laissons là ce discours. SGANARELLE.— Je vous jure que vous ne les auriez pas, s'il s'en fallait un double. VALÈRE.— Eh fi. SGANARELLE.— Non, en conscience, vous en payerez cela. Je vous parle sincèrement, et ne suis pas homme à surfaire. VALÈRE.— Faut-il, Monsieur, qu'une personne comme vous s'amuse à ces grossières feintes ? s'abaisse à parler de la sorte ? qu'un homme si savant, un fameux médecin, comme vous êtes, veuille se déguiser aux yeux du monde, et tenir enterrés les beaux talents qu'il a ? SGANARELLE, à part.— Il est fou. VALÈRE.— De grâce, Monsieur, ne dissimulez point avec nous. SGANARELLE.— Comment ? LUCAS.— Tout ce tripotage ne sart de rian, je savons, çen que je savons. SGANARELLE.— Quoi donc ? que me voulez-vous dire ? Pour qui me prenez-vous ? VALÈRE.— Pour ce que vous êtes, pour un grand médecin. SGANARELLE.— Médecin vous-même: je ne le suis point, et ne l'ai jamais été. VALÈRE, bas.— Voilà sa folie qui le tient. (Haut.) Monsieur, ne veuillez point nier les choses davantage: et n'en venons point, s'il vous plaît, à de fâcheuses extrémités. SGANARELLE.— À quoi donc ? VALÈRE.— À de certaines choses, dont nous serions marris. SGANARELLE.— Parbleu, venez-en à tout ce qu'il vous plaira, je ne suis point médecin: et ne sais ce que vous me voulez dire. VALÈRE, bas.— Je vois bien qu'il faut se servir du remède. (Haut.) Monsieur, encore un coup, je vous prie d'avouer ce que vous êtes. LUCAS.— Et testigué, ne lantiponez point davantage, et confessez à la franquette, que v'êtes médecin. SGANARELLE.— J'enrage. VALÈRE.— À quoi bon nier ce qu'on sait ? LUCAS.— Pourquoi toutes ces fraimes-là ? à quoi est-ce que ça vous sart ? SGANARELLE.— Messieurs, en un mot, autant qu'en deux mille, je vous dis, que je ne suis point médecin. VALÈRE.— Vous n'êtes point médecin ? SGANARELLE.— Non. LUCAS.— V'n'estes pas médecin ? SGANARELLE.— Non, vous dis-je. VALÈRE.— Puisque vous le voulez, il faut s'y résoudre.